Ce dossier sensible et complexe a été débattu au sein du Parlement bruxellois entre le 18 mai et le 17 juin 2022, date de la séance plénière portant sur le vote. Voter un tel texte en l’état, à une majorité à peut-être une voix, celle du Vlaams Belang, interpelle et ne grandit ni notre Parlement et notre modèle fondé sur la culture du compromis. Certains ont souhaité précipité le vote.
Intervention en séance plénière du Parlement bruxellois
Chers Collègues,
L’intervention au nom de mon groupe a été bien évidemment faite par mon collègue Jonathan de Patoul. J’interviendrai pour ma part à titre personnel dans la mesure où mon parti a prévu sur ce sujet une liberté de vote.
Dans ce dossier, chacun vient avec son vécu et sa sensibilité. Et ce qui est peu commun, c’est que les motivations de vote des uns, qu’ils soient pour ou contre, seront parfois diamétralement opposées à celles d’autres qui votent pareil, mais pour des raisons différentes et parfois inavouables.
Ce débat nous amène à arbitrer entre deux valeurs importantes : la protection du bien-être animal et la liberté religieuse. Pour ce qui me concerne, et je ne pense pas être un cas isolé, ces deux valeurs me sont chères et ne sont pas inconciliables.
L’honneur de notre Parlement, de notre démocratie, de notre modèle belge et bruxellois fondé sur le compromis aurait été
de s’employer à réduire les antagonismes, plutôt que de les intensifier,
de poursuivre les auditions par un dialogue serein et hors micros avec les acteurs concernés, plutôt que de forcer aujourd’hui un vote ; ce que mon groupe aurait souhaité.
Voter un texte aussi important et sensible aujourd’hui sans s’appuyer sur une large majorité démocratique est pour moi un échec de notre modèle démocratique.
Certains pays ont pu démontrer qu’il était possible de trouver un moyen d’abréger la souffrance des animaux abattus tout en respectant le rite religieux. Pourquoi pas nous ?
Sur la souffrance animale justement, j’ai eu lors des auditions l’occasion d’interroger le Conseil du bien-être animal sur ses éventuelles recommandations face aux ratés des étourdissements dans l’abattage classique qui oscillent selon l’INRA entre 6 et 16% chez les bovins, ce qui correspond à des dizaines de milliers de bêtes qui souffrent doublement. Je n’ai jamais eu de réponses. Pourtant c’est une réalité à laquelle il faut aussi absolument répondre.
Ce que je veux dire par là, c’est que la seule réponse pour améliorer le bien-être animal ne doit pas venir que de la mise à mort selon le rite religieux.
Et je ne parle pas ici du gazage des porcs ou de la chasse dans la mesure où ils ne sont pas pratiqués voir interdits à Bruxelles ; mais je me demande pourquoi les députés wallons et flamands ne s’en inquiètent pas plus que ça.
Et je me demande aussi pourquoi ceux qui rejettent le texte avec conviction ici n’ont pas défendu leur position avec la même conviction au Parlement wallon.
Je ne doute pas que le futur Code du bien-être animal abordera la question de manière plus large et je sais combien mon collègue Jonathan de Patoul partage ce souci de préserver le bien-être animal partout et en toutes circonstances. Ce n’est malheureusement pas le cas de tout le monde.
Autre élément qui m’interpelle dans le raisonnement de plusieurs collègues, ce sont les exemples pris pour justifier leur proposition : à savoir que l’on produit du halal étourdi en Indonésie, en Nouvelle-Zélande et en Jordanie, que des poulets halal sont étourdis en Belgique et que, donc, rien ne nous interdit de faire pareil à Bruxelles, d’y produire du halal ET du casher étourdis préalablement. Ce raccourci n’est pas acceptable.
Même si les pratiques halal et casher sont différentes, leurs sorts sont liés. Et les auditions nous ont précisé que l’étourdissement préalable n’est nulle part accepté pour le casher.
Lorsque l’on fonde une mesure sur certains exemples, il faut que ces exemples s’appliquent à tous et que l’on se base sur un dénominateur commun.
Je n’ai jamais eu non plus de réponse sur cet élément.
Au niveau juridique maintenant :
Tout d’abord, il est une évidence que la loi civile prévaut sur la loi religieuse. Mais il est totalement faux de considérer que ce qui est en jeu serait une forme d’affirmation de la laïcité de l’Etat, de la primauté de la loi civile sur la loi religieuse.
La loi de l’Etat s’impose à tous, sans exception. Mais l’Etat ne peut décider ce qui est halal ou casher. Si une pratique religieuse est contraire à une loi civile, c’est bien évidemment la loi civile qui prime.
Et si par ailleurs la Cour de justice de l’Union européenne affirme que la protection du bien-être animal peut justifier une limitation proportionnée à la liberté religieuse, cette même Cour rappelle que cette limitation ne peut être imposée qu’à la condition de ne pas interdire l’importation de la viande casher ou halal. En d’autres mots, la Cour n’érige pas en principe universel l’interdiction de l’abattage selon les rites religieux, et donc sans étourdissement.
Il est par ailleurs utile de rappeler trois éléments :
L’arrêt de la Cour ne suit pas, fait exceptionnel, les conclusions de l’avocat général et constitue, selon l’experte entendue lors des auditions, une décision plus politique que juridique,
Chose inédite selon les réponses des juristes entendus, cet arrêt est le seul qui conditionne, grâce à la possibilité d’importer, la garantie d’un droit fondamental, à savoir la liberté de culte, au bon vouloir d’un Etat souverain étranger.
Le règlement européen de 2009 qui fixe la règle alors longuement débattue : étourdissement préalable obligatoire pour tous, avec une exception pour les cultes.
Adopter la proposition telle qu’elle est rédigée aujourd’hui interdit de facto l’abattage rituel même si leurs auteurs n’estiment que l’encadrer.
Cela aura, qu’on le veuille ou non, un impact concret sur le quotidien de juifs et de musulmans qui mangent casher ou halal et qui devront s’approvisionner à l’étranger avec toutes les conséquences en termes
– de consommation locale, fraiche et durable,
– de transport et d’approvisionnement,
– de délocalisation,
– de non-maitrise des règles sanitaires et du bien-être animal là où la viande sera désormais produite
Alors, oui, cela améliorera probablement le bien-être animal à Bruxelles et en Belgique, mais on déplacera le problème ailleurs.
Pour moi, une vache française, hongroise ou polonaise doit être traitée avec autant de soin qu’une vache belge. Et les faire davantage souffrir là-bas en surproduisant et en étant moins regardant parce qu’on modifie les règles ici m’interpelle.
Ceux qui défendent le bien-être animal doivent aussi y être sensibles.
Et rappelons que si l’on étend l’étourdissement réversible partout en Europe comme le souhaite avec cohérence les partisans de la proposition, cela ira à l’encontre de « juste équilibre » établi par la Cour européenne de Justice qui garantit la liberté de culte à la possibilité d’importer.
Ce vote aura aussi un impact sur le vivre ensemble et le sentiment d’acceptation de ces communautés à Bruxelles et en Belgique. Ce n’est clairement pas l’intention des auteurs de la proposition, j’en suis pleinement convaincu. Mais les inquiétudes sont réelles, et elles viennent tant de pratiquants, que de libéraux et de laïcs. Il faut en prendre toute la mesure.
En conclusion,
OUI, ce sujet est éminemment sensible et complexe
OUI, le bien-être des animaux doit être préservé partout, tout au long de leur vie et pour toutes les méthodes de mise à mort, l’abattage rituel et l’abattage traditionnel.
OUI, nous devons avoir la sagesse de rechercher, par la concertation avec les représentants des cultes concernés et les professionnels de la protection animale, la meilleure manière de concilier ici, chez nous, en Belgique, la diminution des souffrances animales et le respect de la pratique rituelle.
Ce serait tout à l’honneur de notre Parlement d’aller vers la voie de l’apaisement et de ne pas trancher.
Marc Loewenstein
Vidép de mon intervention (à 2h48’15 ») ▶️